AH IN ❤︎ Allô maman, bobo

Il fait une chaleur insupportable dans les amphithéâtres de l’université et pourtant, au tout dernier rang, il y a bien une jeune femme, les cheveux blond paille, qui s’est enroulé une écharpe autour du cou, maintenant un pan de tissue devant sa bouche alors qu’elle tousse à répétition toutes les deux minutes. Il n’y a bien que Karen pour tomber malade en plein été, alors que tout le monde sort, s’amuse, va à la plage. Elle a eu le malheur de s’endormir un soir en oubliant d’éteindre la climatisation dans sa chambre et s’est réveillée le matin sans plus avoir de voix, le nez coulant et les yeux brûlants. La veine. Évidemment, dans l’état dans lequel elle était, au lit pendant au moins quatre jours, des médicaments à tour de bras et tournage interdit. Heureusement, elle avait réussi à tirer son ordinateur portable sur ses genoux — un magnifique MacBook Pro dernier cri — afin de rédiger un long article pour prévenir qu’il n’y aurait pas de vidéos pendant quelques jours. Par habitude, elle tourne un paquet de contenu en avance pour en avoir assez. Manque de chance, elle en était à court et en plus ne pouvait pas se permettre d’en préparer.

Cinq jours plus tard, revenue en cours mais pas guérie pour autant, elle se rend également compte qu’elle a raté plusieurs leçons d’histoire de l’art, chose qu’elle appréhende énormément sachant qu’elle a déjà beaucoup de mal dans cette matière. Assise seule au rang du fond, elle grommelle. Elle n’aime pas l’art. Ni la peinture, ni le théâtre. Surtout pas le théâtre. Encore moins la Comedia Dell'Arte avec tous leurs noms et leurs mots en italien alors qu'elle galère déjà à alterner trois langues sans parler en yaourt. Elle sort un énième mouchoir, souffle fort, le roule en boule et le jette dans la seule poubelle de la classe qu’elle a réquisitionné pour son usage personnel. Elle a envie de pleurer, de faire une crise de gamine pourrie gâtée, de se rouler en boule dans son lit avec son chat — le chat le plus doux de la galaxie — avec elle pour la consoler. Elle a envie qu’on la prenne dans ses bras, qu’on la câline et qu’on lui dise « Mais non, ma chérie, tu n’es pas obligée d’aller en cours, repose-toi ». Mais évidemment, elle peut toujours se brosser. Les larmes lui montent aux yeux. C’est la fatigue. Elle n’aurait pas dû se forcer à revenir, se dit-elle, et prendre un jour en plus pour se reposer. De toute façon, elle pleure ou non, cela ne change rien, elle a toujours l’air terrible. Sans maquillage, la jeune femme ne s’apprécie pas. Elle déteste les poches sous ses yeux, les rougeurs de ses joues et son visage légèrement brillant.

Au bout d’une demi heure, c’est la crise. Elle rend les armes et jette son stylo sur sa feuille avec un soupire retentissant. La professeur l’ignore ou ne l’entend pas. Elle n’a même pas assez de voix pour lui demander de ralentir le débit de ses paroles. Déjà, elle commence à chercher des yeux quelqu’un à qui elle pourrait aller extorquer les cours qu’elle a raté au bout de cette session de quatre heures. Finalement, ne trouvant personne, elle lâche un autre soupire, un « J’en ai marre… » d’une petite voix cassée que personne n'entend, et se recroqueville sur elle-même, laissant reposer sa tête lourde sur ses feuilles de cours éparpillées.

Chaud. Chaud! Le gros nez d'Ah In se déssèche tandis que le reste de son corps se met à fondre, fondre et encore fondre. C'est la suffocation, le blondinet n'en peut plus. Cette température ralentit le jeune homme. Il fait tout en slowmotion, et même se plaindre devient trop dur à faire. Fort heureusement, la nuit, il fait un peu plus frais, et la nuit, quand il travaille, la clim est présente, pointe son air sur le bar où le jeune homme se tient constamment alors que les autres suent en se collant, en dansant le tshirt mouillé et le regard lubrique.

Alain l'escargot s'avance le long des couloirs de la fac, la petite douche qu'il a pris avant de partir lui a fait un bien fou, mais il le sait très bien, ça ne durera pas longtemps. Un peu opressé par la chaleur environnante, le blondinet s'avance d'un pas las vers l'amphithéâtre où son prof donne un cours d'histoire de l'art. A vrai dire, Ah In n'apprécie pas tellement ce cours. Du moins, quand ça peut se référer à la littérature ça lui va, une fois que ça touche la peinture ou la sculpture, ça le rend déjà un peu plus indifférent. Cependant, en ce moment le cours est assez intéressant. Ca traite de la structure des théâtres à la Renaissance et un peu à près, surtout centré sur l'Italie, quand ils accueillaient la Comedia del Arte. Et le Théâtre, c'est devenu toute la vie d'Ah In depuis qu'il ne peut plus jouer au football, alors bien sûr que ça l'emballe et ce, même s'il a plusieurs minutes de retard - on est à la fac, la ponctualité, qu'elle vienne des élèves, des profs ou de l'administration, ça ne choque plus vraiment.

Il espère, que Karen sera là. Cette belle femme qui l'envoûte de jour en jour. S'il se fait friendzonné? Oh! Evitons cette question! Ah In veut le nier, il a de la persévérance en lui, dans un stock illimité et depuis le temps qu'ils se connaissent, l'envoûtante demoiselle l'a sûrement remarqué. Franchement, il est bien sympa le Ah In, il lui a pris les cours, tout gentil, tout docile, peut-être qu'il aura un bisou en retour? Hihihi... Enfin il entre en cours et il lui en faut peu pour que son radar ne localise sa proie, son doux rêve, cette jolie poupée qui crache super vite telle une vipère! Ah! Qu'il aime les femmes au fort tempérament, mais cet attirance semble toujours à sens unique. Le blondinet se presse alors pour s'asseoir à côté de la jeune femme qui semble assez mal en point. Perspicace, il se dit enfin qu'elle doit être malade. Un petit raclement de gorge, le voilà prêt à lui faire la cours. Il sort ses affaires et lui tend quelques feuilles de cours. « Salut beauté! Je sais que je te manquais mais t'aurais pas dû revenir, mais t’inquiète pas, même avec de la morve au nez, tu restes très belle et attirante! C'est mes cours, pour toi Darling~» Un peu maladroit, il ne sait pas quoi faire par la suite, peut-être attendre, peut-être agir, mais pour faire quoi? Pour se prendre une beigne? Non merci, même si elle est malade, Ah In n'est pas certain qu'elle n'ait pas assez de force pour lui en foutre une, violente ouh! « Han beauté, j'vais enfiler ma blouse de docteur et j'vais prendre bien soin de toi, okay? » Okay, niveau crédibilité, c'est à refaire...

Quand elle voit une tête blonde gravir les marches de l’amphithéâtre, elle essaye de soupirer mais avoir le nez bouché et la bouche encombrée par son châle ne l’aide pas. Elle lève les yeux au ciel quand il traverse le range de sièges vides pour venir s’assoir à côté d’elle. Tout à côté d’elle. Ce n’est même pas comme s’il laissait une place entre eux. Non, il faut qu’il se colle. « Pot de colle… » marmonne-t-elle. Elle ne se redresse même pas pour le saluer. De toute façon, elle ne le salue même pas. Elle regarde d’un oeil vitreux le petit poussin sortir des feuilles de son sac pour les glisser vers elle. Intriguée, elle redresse la tête. Pour elle ? Il lui donne ses cours ? Elle fronce les sourcils et le regarde fixement, ne sachant pas quoi faire. Elle prend les feuilles du bout de ses longs doigts. Ah In écrit bien. C’est lisible et parait complet. Il a beau lui dire que ce sont ses cours pour elle, l’information ne semble pas remonter jusqu’au cerveau embué de la demoiselle. Il est fou ? Il veut se faire taper à lui dire qu’elle est charmante et à la draguer si ouvertement alors qu’il n’est qu’un Coeur ? Karen grogne et se redresse complètement sur son siège.

« Merci… » murmure-t-elle alors que sa voix éraillée a du mal à sortir. C’est la première fois qu’elle a un mot gentil pour lui. D’habitude, elle se plait à le maltraiter. Mais aujourd’hui, elle n’en a pas la force. Il lui a apporté ses cours, elle ne peut que lui en être reconnaissante. Après tout, sans ce quelques cours, elle raterait fort probablement cette matière. Elle esquisse même un sourire aux conneries qu’il raconte et se balance pour lui décocher un coup d’épaule. « Je ferais des photocopies tout à l’heure… » ajoute-t-elle en glissant délicatement les feuilles sous les siennes. Elle passe une main dans ses cheveux blond paille pour les dégager de son visage. « Est-ce que ça t’ennuie de faire la route jusqu’à chez moi ? Comme ça tu peux récupérer tes cours directement… » D’ordinaire, Karen n’inviterait pas quelqu’un aussi facilement chez elle, mais là, c’est un peu différent. Il fait un geste généreux — même si elle est sûre que c’est simplement pour qu’elle soit plus gentille avec lui et lui accorde un bisou ou quelque chose dans le même genre —, alors elle se dit qu’elle se doit de lui rendre l’appareil.

Puis, sans un mot, elle se penche de nouveau sur sa feuille de cours et recommence à prendre le cours du jour, maintenant sa tête sur son bras plié. pour ne pas avoir à faire d’efforts pour se tenir droite. Seulement, ce qu’elle n’avait pas prévu, c’est la fatigue l’assommant d’un coup. Ses paupières se font lourdes alors qu’elle commence à pencher dangereusement du côté d’Ah In. Elle ne s’en rend pas compte et s’appuie de plus en plus sur lui, le stylo lâchement tenu entre ses doigts.

 A peine assis qu'Ah In se fait saluer de charmante manière. Pas de réponse de la part du blondinet hormis un joli sourire. Il s'y est habitué, Karen lui a toujours parlé de la sorte. Il s'est de ce fait mis en tête que c'était une manière de voir autrement les expressions « mon beau », « mon mignon », « poussin »... Des petits mots d'amour en somme, à la mode Karen. Une fois bien installé, damoiseau sauve damoiselle à l'aide de ses feuilles de cours soignées, rien que pour elle. Il a même glissé quelques mots d'amour incognito, pour quand elle les relira. Quel coquin fait-il ! Le preux chevalier glousse légèrement lorsqu'il entend la malade grogner, Karen le rend gaga. Ah In se sait niais parfois, c'est pourquoi il surjoue quelques fois ce côté, qu'il se moque de lui-même implicitement. L'auto-dérision ne fait pas de mal et après tout, il préfère se moquer lui, de lui-même, plutôt qu'entendre une boutade à son sujet venant de la bouche de quelqu'un d'autre, et ce, même s'il aime à faire croire que rien ne l'atteint.

A-t-il bien entendu ? Merci a-t-elle dit ? Trop fier pour le montrer, Ah In opte simplement pour un clin d’œil en guise de 'de rien poupée', faut jouer le beau parfois, faire le mec distant et pas trop collant, ce qu'il n'est pas du tout, c'est amusant. Bien trop peu concentré sur le flot de paroles que déverse le prof d'histoire de l'art, le blondinet ne peu que déglutir en contemplant Karen esquissé un geste qu'il trouve d'une élégance folle. Le vilain chenapan a toujours adoré ça, voir une femme passer une main dans ses cheveux, c'est gracieux, sensuel, charmeur. Lui aussi, aimerait mettre sa main dans les cheveux de Karen alors qu'elle serait sous lui, à sa merci, le regard brillant et le ton mielleux. La requête de la demoiselle fait sortir le coréen de sa rêverie. « Non ! Ça m'ennuie pas du tout ! » Du calme mon beau, du calme ! Trop d'enthousiasme d'un coup, ça fait pitié. Puis elle est malade, ça n'est pas comme si Karen l'invitait ouvertement à faire joujou avec son corps.

Intimidé ou tendu, impatient ou paniqué, pressé ou pas, il ne sait plus trop mais heureux – oui c'est le mot – il se met à écouter le cours, se disant qu'il vaudrait mieux si jamais Karen venait à ne pas se sentir bien. Sa nature de Heart refait surface et sa gentillesse prend le dessus sur le reste. Bienveillant, il l'est, parfois trop, notre petit Ahin, c'est plus fort que lui, faut qu'il aide. Mais ça ne lui déplaît jamais d'aider autrui. Concentré, pas pour longtemps. Un poids se fait sentir contre son bras, puis près de sa tête, Karen penche et s'il la retient pas, elle va couler comme le Titanic et Jack veut pas voir Rose disparaître, il coulerait même à sa place s'il le fallait. C'est donc délicatement, comme s'il bougeait une pièce en porcelaine, qu'il pose la tête de Karen sous son menton et qu'il entoure son corps de ses bras. Beaucoup, vraiment beaucoup trop de monde pour que le prof remarque, et ils sont à une place stratégique, avec un géant devant eux. Non, il ne compte pas profiter d'elle, mais il va simplement la laisser dormir, tranquillement, docilement il l'espère, en essayant de garder ses pensées saines.

Karen est épuisée au point de ne même pas réagir quand les mains d'Ah In glissent sur ses bras. Elle en a l'habitude, se dit-elle dans un brouillard épais. Le nombre de mains qui ont glissé sur son corps, elle ne les compte même plus. Elle a bien essayé, un jour, mais elle a trop vite perdu le fil. Un petit sourire s'échappe de ses douces lèvres alors qu'une mèche blonde s'y colle un instant. La jeune métisse esquisse carrément un petit sourire. Mais qu'Ah In ne s'y fie pas trop. Ce sourire, c'est un effet des restes de fièvre qui la rendent un peu délirante. Elle n'est pas complètement endormie et peut clairement sentir son voisin de chaise la tirer contre lui dans une position objectivement beaucoup plus confortable, lovée dans ses bras. Dans un recoin de son esprit embué, elle se dit que finalement, ça n'est pas si mal comme ça. Même si, le plus clair du temps, elle souhaite surtout qu’il lui lâche la grappe, pour une fois, elle le laisse n’en faire qu’à sa guise. Doucement, tout doucement, sans qu’elle s’en rende compte elle-même, alors qu’elle est de toute façon endormie, ses doigts remuent légèrement et se posent sur le bout de sa main, comme la caresse d’une plume.

C’est une heure plus tard que Karen se réveille. Elle a l’impression de chuter dans son sommeil, son coeur fait un looping dans sa poitrine et la réveille en sursaut. Heureusement, elle ne crie ni ne fait de grands gestes mais se redresse simplement d’un coup et observe la salle avec de grands yeux. Personne ne s’est retourné. L’enseignante ne l’a même pas remarquée. En tout cas, quand bien même elle aurait remarqué la blondinette assoupie dans les bras de son blondinet favori. Blondinet et blondinette. Quelle paire fabuleuse, se dit-elle alors qu’enfin, elle se tourne vers lui. Pendant un instant, elle doute. S’est-il endormi ? Il ne faudrait pas que cela arrive, autrement, elle pourrait dire adieu à son cours complet. Elle doit avoir une expression spéciale à le regarder d’un drôle d’air tout en se demandant s’il a ou non une tête à avoir dormi.

Mais finalement, impossible de se décider. « T’as dormi ? Pitié, dis-moi que t’as pas dormi et que t’as pris le cours. Je le validerais jamais autrement! » murmure-t-elle alors qu’un brin de panique se faire entendre dans sa voice chuchotante. Elle essaye de lui secouer le bras mais la fatigue la fait voir double et elle est très vite forcée de s’arrêter au risque de basculer de la chaise en bois sur laquelle elle est assise et de s’étaler de tout son long sur le sol de l’amphithéâtre. « J’me sens mal… Je crois que tu vas devoir… me raccompagner... » marmonne-t-elle d’une voix pâteuse. Alors, pour calmer son mal, elle se recroqueville de nouveau contre Ah In, et tant pis pour lui s’il attrape son rhume !

Il doit être entrain de rêver en vrai. Un rêve perfide et cruel. Jamais en vrai Karen lui aurait permis d'être aussi proche d'elle et pourtant aujourd'hui c'est le cas. Il peut sentir son parfum, délicat, doux, le blond s'en souviendra longtemps de cette fragrance. Il lutte, pour pas laisser ses mains se balader sur son corps, découvrir ses formes et les savourer du bout des doigts. Karen semble vraiment épuisée, elle respire plutôt fort – signe d'une grande fatigue. Mais ça n'est pas tout, la belle blonde laisse sa main toucher celle du comédien. Même pendant son sommeil, elle est vilaine avec lui et le rend fou. Ça le frustre. Il ne bougera pas, fort heureusement, c'est la main droite qui est prise, et monsieur Kang est gaucher. Un peu plus maladroitement, car un peu encombré tout de même par le corps de la japonaise, il prend le cours avec intérêt et minutie, faut que ce soit complet pour son amie.

Il ne sait pas combien de temps se sont passé jusqu'à que la belle se réveille en sursaut mais Ahin s'est soudainement senti libéré, même s'il n'est pas encore capable de complètement bouger son bras – il a vraiment cru qu'il allait le perdre un instant. Imaginez rester une heure dans cette position sans bouger, sa circulation sanguine était sur le point de s'arrêter quoi. Il la contemple inquiète tandis qu'il se frotte l'épaule. Intrigué par le regard qu'elle lui porte, il affiche à son tour un air perplexe, tout en haussant un sourcil interrogatif. La voilà désormais qui panique et qui s'acharne mollement sur son bras endormi, sauf que mollement pour l'état de son bras s'avère être douloureux. Fort heureusement pour lui, elle abandonne et c'est ainsi qu'il repart à la conquête de son bras à l'aide de sa main gauche, en le frottant. Un sourire mignon et se voulant rassurant, il répond « T'inquiète beauté suprême, tout est noté. »

Finalement, son air espiègle disparaît, laissant place à l'inquiétude. Le blondinet laisse la blondinette se caler contre lui, tant pis pour son bras, s'il le faut, il deviendra manchot. Bienveillant, il caresse tendrement les cheveux de la jeune femme tandis qu'il réfléchit un instant à quoi faire. « Tu veux que je te raccompagne tout de suite ? Ou tu veux attendre la fin du cours ? » Il hésite puis rajoute « Si tu t'inquiète pour les cours, faut pas, je demanderai à un pote ses notes. » Il se mord la lèvre, constatant par la simple présence de Karen contre lui à quel point la température de celle-ci est haute, ça lui donne même chaud.

A ces mots, on aurait pu croire que la douce Karen exploite son petit blondinet favori uniquement pour avoir ses cours et ne pas échouer misérablement son année, ce qui en soi n’est pas tout à fait faux. Il est vrai qu’elle le tiendrait pour responsable de l’échec de cette session, s’il y a, sachant que c’est lui qui, la plupart du temps, lui donne les cours qu’elle a raté et qu’il a assidument noté dans l’espoir d’un baiser de la belle blonde. Baiser qui ne vient pas et qui ne viendra sans doute jamais, se dit-elle. Elle soupire, évaluant un instant la situation. Tout son corps est parcouru de frisson. Elle se sent terriblement mal et épuisée. Ah In lui propose de la raccompagner immédiatement et la rassure même qu’ils n’auront pas à se soucier des cours. Pourtant, elle s’est promis d’arrêter de sécher des cours pour des raisons invalides ou d’abandonner sous peine qu’elle est fatiguée. Elle se l’est promis et, pendant un instant, décide de rester. Il faut écouter la professeur parler, ou plutôt marmonner dans son micro pendant encore deux heures et ça ira. « Non, ça va. On reste jusqu’à la fin, on aura qu’à partir à la pause, » dit-elle en se redressant. Elle grogne et passe une main dans ses cheveux blonds, regardant la salle d’un oeil hagard.

« Je comprends pas comment tout le monde arrive à s’intéresser à ce qu’elle dit. J’aime pas… Je comprends rien… » marmonne-t-elle à l’attention d’Ah In malgré une voix peut-être un peu trop basse pour être claire. La jeune femme reprend son stylo de la main gauche et recommence à écrire. Elle prend appui de son coude droit sur le bureau, laissant reposer son menton dans sa main. Sa bouche fait la moue. Une de ses mèches pailles retombe lentement mais sûrement devant son nez retroussé. C’est alors qu’elle va pour humidifier ses lèvres du bout de sa langue qu’elle se rend compte à quel point elle a la gorge sèche. Au point de s’en étouffer. Lâchant son stylo à nouveau, elle se penche sur le côté pour attraper son joli sac en cuir sous la table et la bouteille d’eau qu’elle transporte toujours à l’intérieur. Adepte du litre et demi d’eau à boire par jour.

Mais alors qu’elle se redresse, un peu trop rapidement, la jeune femme est prise de vertiges qui l’obligent à s’accrocher au bureau. Elle cligne plusieurs fois des yeux pour effacer les étoiles qui explosent dans ses rétines. Une fois le malaise passé, elle boit de petites gorgées d’eau au goulot de la bouteille. La sensation de vertige ne passe pas. « Ah In, on rentre. » Ses mots sonnent comme un ordre. Et pour cause, s’en est un. Elle range ses feuilles en vrac dans sa pochette, glisse cette dernière dans son sac et retire ses lunettes de vue qui vont se loger confortablement dans un étui offert à une soirée Gucci. Sans aucune gêne, elle se lève. Cette fois, l’enseignante la voit bel et bien, et s’offusque, bien entendu. Karen ne l’écoute pas. Elle passe son sac en bandoulière et commence à traverser le rang pour atteindre les escaliers latéraux. C’est alors que la professeur l’interpelle et lui demande où elle croit aller. Karen se retourne avec un profond soupire. « Je suis malade, je rentre. Et puis votre cours est chiant. » Effrontée et grossière. C’est tout elle, ça. Sur ces mots, elle passe la porte tout au fond de l’amphithéâtre et attend Ah In à l’extérieur.

Ah In reste perplexe quant à la réponse de la blonde. Rester ici n'est pas une bonne idée, aux vues de son état elle devrait simplement retourner dans son lit, prendre des médicaments et dormir. De toutes manières, il ne sert à rien de rester en cours, elle ne pourra pas se concentrer avec sa fièvre. « Je crois pas que ce soit une bonne idée... » Cependant, il n'en rajoute pas. Si Karen souhaite réellement rester, et bien qu'ils restent, après tout, si elle décide de changer d'avis, il l'aidera quand même. Toujours inquiet, toujours un oeil sur elle, il reprend néanmoins la notation du cours. A fond dedans, il en oublie presque son amie au bout d'un moment. Seulement, elle reprend la parole, ce qui perturbe la concentration du blondinet. Il réfléchit un instant en penchant la tête de côté et lui répond d'un air quelque peu sérieux « ça parle théâtre là, personnellement j'adore. Autrement ouais... ça peut être chiant. Si un jour tu as des questions sur le cours, je t'aiderai comme je le pourrai. »


Finalement, Karen ne se sent pas bien, elle semble soudainement dans les choux, et elle a pâlit d'un coup. Franchement, Ah In n'aimerait vraiment pas se retrouver dans le même état qu'elle. Résolu, il obéit à l'ordre que prononce son ami et range ses affaires aux plus vites. Il faut qu'elle soit soignée et bien au chaud sous une couette. Le comédien se lève et la suit mais il se stoppe net quand la Japonaise répond à la prof de manière effrontée. Sur le cul, il reste pantois quelques secondes alors que la blonde a déjà entamé sa marche. La prof le gronde lui aussi. Il se tourne à son tour vers elle et se courbe afin de la saluer « Bonne journée! » Disons qu'encore un peu étonné, il ne sait pas quoi dire d'autre, puis qu'il n'en a rien à faire que la prof le saque pour le moment, vu que ses pensées sont toutes tournées vers la malade. Il la rejoint alors et la traîne délicatement vers le parking. « On prend ma voiture? ça sera plus rapide que les transports en commun. »

hs: